On se retrouvera, récit
EAN13
9782841877867
ISBN
978-2-84187-786-7
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
Roman français
Nombre de pages
227
Dimensions
22,5 x 14 cm
Poids
320 g
Langue
français
Code dewey
940.531
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On se retrouvera

récit

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Contributions de

Archipel

Roman français

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Montréal, Québec, H3N 1W3.

eISBN 978-2-8098-1276-3

Copyright © L'Archipel, 2006.

Préface

Sur les 76 000 Juifs déportés entre 1942 et 1944 par la police française et par les nazis, et qui comptaient parmi eux 11 000 enfants, 2 500 ont survécu aux camps d'extermination, soit à peu près trois sur cent. Jacques et Madeleine Goldstein faisaient partie de ce tout petit nombre.

Lorsque je les ai rencontrés le 26 mai 2005, il ne restait à Jacques qu'un mois à vivre. Il avait trop chaud. Il était déjà faible et essoufflé. Ce jour-là, sa chemise à manches courtes laissait voir les gros chiffres maladroits du matricule 186608 tatoué de travers sur son avant-bras. La veille, un médecin lui avait appris que ses jours étaient comptés : il souffrait d'un cancer en phase terminale.

Il arrive que certains chiffres rendent malade. Je n'ai pas cherché à voir le matricule 80597 tatoué sur le bras de Madeleine. Lors de notre conversation, Jacques m'a avoué ne pas comprendre comment certains individus pouvaient avoir l'impudence de nier l'existence des camps de la mort. Et mon regard blessé restait rivé sur cette encre bleue qui signait sous sa peau le geste monstrueux de ses bourreaux.

Jacques n'a pas eu le temps de signer avec Madeleine le témoignage qu'il désirait tant nous laisser. Il a quitté le monde des hommes le mardi 28 juin 2005.

J'étais à New York ce jour-là, pour la remise d'un prix obtenu par mon ami Hubert Thébault et par Radio France, récompensant l'adaptation sonore de Paroles du Jour J, un beau travail effectué sur les antennes de France Bleu. Étrange coïncidence : soixante et un ans après, j'étais sur le sol d'où partirent ces trop jeunes hommes qui rendirent leur dignité aux Français. Ils avaient pour la plupart entre dix-sept et vingt-trois ans. Ils offraient leur vie sur les plages de Normandie pour commencer à libérer l'Europe, alors même que des convois bondés d'hommes, de femmes et d'enfants continuaient à quitter Drancy pour Auschwitz...

Les négationnistes sont en phase avec ceux qui font preuve de racisme au quotidien. Les uns rejettent la réalité du passé, les autres rejettent leur prochain. Ils ont peur d'eux-mêmes, de leurs doutes, de leurs complexes, de leurs propres turpitudes. Ils n'osent ni se regarder en face, ni scruter le rétroviseur. Le rejet, la négation, la haine de l'autre, c'est en fin de compte le rejet, la négation, la haine de soi-même.

Aux antipodes de la haine, il arrive que l'amour transcende l'horreur, qu'il dépasse et rejette provisoirement la mort. Quand Jacques et Madeleine Goldstein ont été séparés sur le quai de Birkenau, le 1er mai 1944, tout pouvait laisser penser qu'ils ne se reverraient jamais. Depuis leur arrestation le 21 janvier de la même année, « Fallin » et « Mado » – leurs noms de guerre en Résistance depuis le printemps 1943 – n'avaient rien avoué. Ils avaient survécu aux interrogatoires et aux tortures de la Gestapo ; ils avaient survécu à la prison de Fresnes ; ils avaient survécu à Drancy ; ils avaient survécu au voyage de trois jours, entassés dans les wagons à bestiaux... Ils allaient survivre au tri qui, sur le quai, enverrait 96,4 % des déportés du convoi 72 à la mort – 967 personnes sur 1004... Ils allaient échapper aux chambres à gaz, aux fours crématoires, supporter le travail harassant des kommandos, « l'hôpital » du camp, les mauvais traitements, les privations, les coups des SS et des kapos, la faim, le froid, la dysenterie, le typhus, la tuberculose et les autres épidémies ; ils allaient survivre aux travaux forcés, à la « sélection quotidienne », à l'« évacuation » des camps et aux « marches de la mort » lors de l'avancée des troupes alliées...

Après avoir vécu à Auschwitz, Jacques vivrait à Buchenwald. Après avoir survécu à Birkenau, Madeleine survivrait à Ravensbrück. À la « libération » des camps, ils subiraient l'un et l'autre les tracasseries, les mésaventures, les interrogatoires. Pour se retrouver, de façon presque miraculeuse, dans le tambour vitré de l'entrée principale de l'hôtel Lutetia, au cœur de Paris !

Plus tard, l'amour de Jacques et de Madeleine continuerait à surmonter l'une de ces autres épreuves effroyables que la vie peut nous réserver : la disparition de leur fille Rosette, enfant cachée sauvée de la Shoah, victime d'un accident de ski, douze ans après la fin de la guerre, le 24 décembre 1957...

En soixante-dix ans de vie commune ou rapprochée, Jacques et Madeleine ne s'étaient jamais écrit. Depuis l'âge de treize ans, ils étaient presque inséparables, exception faite des mois passés entre les miradors... Et pour que Madeleine prenne le temps d'écrire, il lui aura fallu connaître leur seconde séparation depuis les camps. Une séparation provisoire. Madeleine est heureusement bien vaillante, bien vivante. Nous aurions envie de la choyer, de la chérir, de la dorloter jusqu'à la nuit des temps sous le regard attentif des étoiles, pour lui faire oublier toutes les misères que l'homme est capable d'infliger à l'homme.

Un jour, c'est sûr, Jacques et Madeleine se retrouveront. Le courage, l'amour, la fidélité, la ténacité et l'esprit de résistance qui ont caractérisé leur trajectoire donnent un vrai sens à notre vie.

« Derrière la saleté, s'étalant devant nous, plus loin que les frontières qui sont de barbelés, par-delà le concert des sanglots et des pleurs, il nous faut regarder ce qu'il y a de beau, le vol d'une hirondelle, le bateau qui revient ; il nous faut écouter les berceuses des mères, les prières des enfants, et le bruit de la terre qui s'endort doucement », chantait Jacques Brel. Il nous faut penser également au très beau film de Roberto Benigni, La vie est belle, qui parvient à retisser la trame de l'espoir avec les fils tordus de l'horreur et du désespoir...

Dormez en paix, Jacques Goldstein... Madeleine vient d'écrire votre histoire d'amour. Comme elle, nous ne vous oublierons jamais.

Jean-Pierre GUÉNO

AVERTISSEMENT

Ce récit raconte une histoire vraie. Tous ses personnages ont existé, mais certains noms propres ont été changés par l'auteur dans un souci de discrétion.

Prologue

Comme chaque jour, une foule anxieuse se bouscule aux lourdes barrières en bois dressées devant le Lutetia. La façade blanche et cossue de l'hôtel s'élève au-dessus d'une masse humaine uniforme et sombre hérissée de mains blanches agitant des photos. Les gens crient des noms de disparus ; et leurs plaintes résonnent sur le boulevard Raspail comme l'écho d'un chant désespéré.

Mon brouillon de télégramme à la main, cramponnée au bras du scout, je m'aventure jusqu'à cette multitude traversée de pleurs. Je souffre d'accès de fatigue et d'étourdissements ; mes jambes privées de muscles menacent de me trahir. Par chance, on s'écarte. On a reconnu en moi une de ces déportées revenues d'Allemagne que les Parisiens regardent d'un œil craintif, comme des fantômes porteurs d'un effrayant message. Mais j'ai grand-peine à me frayer un chemin jusqu'au bas du perron. Et j'en gravis les marches avec la lenteur d'une femme âgée. Je me tourne vers mon scout :

— J'ai vingt-quatre ans et je me traîne comme une vieille...

Il me laisse prendre appui sur son épaule.

— Avec des vitamines, vous serez vite retapée.

En haut, la grande porte vitrée ne cesse de tourbillonner sur son axe. C'est la bousculade. D'un côté, les gens semblent projetés vers l'extérieur de l'hôtel ; de l'autre, le cylindre les happe.

— On n'arrivera jamais à entrer.

— Mais si.

Après ce que j'ai enduré, ce serait dommage de baisser les bras devant une porte à tambour.

Derrière les écrans de verre règne cette même agitation à laquelle j'ai été mêlée ces derniers jours. On distingue au fond les listes de noms affichées aux murs. Celles des derniers survivants recensés. Les hommes et les femmes qui les consultent ajustent leurs lunettes, retiennent d'une main leur chapeau qui menace de tomber dans la cohue, réclament avec des gestes de colère que l...
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