Le déjeuner de de la nostalgie, roman
EAN13
9782234061002
ISBN
978-2-234-06100-2
Éditeur
Stock
Date de publication
Collection
La cosmopolite
Nombre de pages
408
Dimensions
20 x 614 x 2 cm
Poids
460 g
Langue
français
Langue d'origine
anglais
Code dewey
850
Fiches UNIMARC
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Le déjeuner de de la nostalgie

roman

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La cosmopolite

Indisponible
1?>Quelque chose
que vous devez savoir?>Alors que Pearl Tull était sur le point de mourir, une curieuse pensée lui traversa l'esprit. Une pensée qui lui tordit légèrement la bouche et augmenta le bruit rauque de sa respiration, au moment où son fils, qui montait la garde près de son lit, se pencha vers elle. « Tu aurais dû... dit-elle. Il aurait fallu que tu trouves... »Elle voulait lui dire qu'il aurait dû trouver une mère de rechange, exactement comme elle et son mari avaient fait des enfants de rechange après que le premier-né fut tombé si gravement malade. Ezra, qui se tenait à ce moment près de son lit, était le cadet. C'était Cody l'aîné. Cody l'insupportable – un enfant difficile qu'elle avait eu tard. Ils avaient alors décidé de ne pas en avoir d'autres. Puis l'enfant avait attrapé le croup et Pearl s'était mise dans tous ses états. Ça se passait en 1931, c'était encore à l'époque une maladie extrêmement grave. Elle avait tendu sur le petit lit un morceau de flanelle et disposé tout autour un tas d'ustensiles : poêlons, casseroles, seaux pleins d'une eau qu'elle faisait chauffer sur le poêle en fonte. Elle levait ensuite le morceau d'étoffe pour emprisonner la vapeur. L'enfant respirait avec difficulté, bruyamment, comme si l'air passait à travers un tas de graviers. Sa peau était rouge et brûlante, ses cheveux raides, collés à ses tempes. Au matin il s'endormait. Pearl laissait sa tête ballotter un moment dans le rocking-chair et s'assoupissait à son tour, les doigts accrochés aux montants métalliques de couleur ivoire du petit lit. Beck était, comme toujours, en voyage d'affaires et lorsqu'il était rentré le plus dur était passé. Cody trottait de nouveau çà et là, avec, en tout et pour tout, un nez qui coulait et une petite toux que Beck ne remarqua même pas. « J'en veux d'autres », lui avait dit Pearl. Il parut surpris mais heureux. Il lui rappela cependant qu'elle ne s'était pas senti naguère la force de supporter un autre accouchement. « J'en veux quelques-uns de rechange », lui avait-elle répondu. Quelque chose l'avait frappée durant la maladie de son fils : si Cody venait à mourir, que lui resterait-il ? Une petite maison de location entretenue avec soin mais pitoyable ; une chambre d'enfant décorée sur le thème de la mère l'oie ; et Beck évidemment. Mais il était tellement pris par la Tanner Corporation. Plus souvent dehors qu'à la maison, il rouspétait sans arrêt à propos de son travail. Qui perçait, qui se ramassait ; qui avait répandu des bruits derrière son dos ; quels étaient les risques de licenciement vu la période difficile qu'on traversait. « Je ne sais pas pourquoi je m'étais mis dans la tête qu'un petit garçon suffirait », avait dit Pearl.Il s'avéra que ce n'était pas si simple. C'est Ezra qui vint en deuxième. Il était si doux, si maladroit que ç'aurait été un crève-cœur de le perdre. Plus que jamais elle se sentait menacée. Il aurait été préférable de s'arrêter à Cody. Cependant ça ne lui servit pas de leçon. Après Ezra, naquit Jenny, une fille. C'était tellement amusant de l'habiller, de lui inventer toutes sortes de coiffures. Pearl sentait que les filles étaient, en quelque sorte, du luxe. Pourtant il n'était pas question de renoncer à Jenny non plus. Ce qu'elle craignait maintenant ce n'était plus de perdre un enfant mais d'en perdre trois. Et cela avait paru une si bonne idée quelque temps plus tôt ! Des enfants de rechange comme des pneus de rechange ou comme ce troisième bas que l'on vous offrait autrefois lorsqu'on en achetait une paire en fil d'Écosse. « Tu aurais dû trouver une mère de rechange, Ezra », dit-elle ou, tout au moins, eut-elle l'intention de dire. « Comme tu as été imprévoyant ! » Apparemment elle ne parvint pas à prononcer les mots et elle entendit son fils s'enfoncer de nouveau dans son fauteuil sans rien dire et tourner la page de son magazine.Depuis quatre ans et demi, depuis le printemps de 1975, elle n'avait pas vu Ezra distinctement. C'était à ce moment-là qu'elle avait commencé à perdre la vue. Les choses, tout d'abord, lui étaient apparues floues. Elle était allée voir un oculiste pour qu'il lui ordonnât des verres. « Ce sont vos artères, lui avait-il dit, c'est à cause de vos artères. » Elle avait quatre-vingt-un ans après tout. Il était persuadé cependant qu'il y avait quelque chose à faire. Il la dirigea sur un spécialiste qui l'envoya à un autre... En fin de compte, après un tas de pérégrinations, on arriva à la conclusion qu'on n'y pouvait rien. Quelque chose s'était raccorni derrière ses yeux. « Je tombe en ruine. Je survis à moi-même », avait-elle dit à ses enfants avec un petit rire. À vrai dire elle n'y croyait pas. Elle joua parfaitement la consternation puis la résignation et enfin une courageuse bonne humeur. En son for intérieur elle était décidée à ne céder en rien. Elle ne voulait, simplement, pas en entendre parler. Elle avait toujours été une femme de caractère. Par exemple une certaine fois, alors que Beck était en voyage d'affaires, elle avait continué de vaquer aux soins du ménage, pendant un jour et demi, avec un bras cassé, jusqu'à ce que son mari pût s'occuper des enfants. (Nouvellement installés en ville – un nouveau poste de Beck – elle n'avait su à qui faire appel.) Elle était contre l'aspirine, comment aurait-elle pu supporter d'être dépendante, de se sentir l'obligée de qui que ce fût ? « Le docteur croit que je suis en train de devenir aveugle », avait-elle dit à ses enfants. Évidemment elle n'avait nullement l'intention qu'une telle chose arrivât. Néanmoins sa vue baissait de jour en jour. L'intensité de la lumière – elle ne savait comment – s'estompait, refluait. Même le calme visage de son fils Ezra, qu'elle aimait tant regarder, devenait indistinct ; même en plein soleil, elle avait maintenant beaucoup de difficultés à distinguer ses traits. Elle pouvait à peine discerner sa silhouette lorsqu'il approchait d'elle son grand corps voûté qui s'épaississait un peu avec l'âge mûr. Elle sentait la chaleur de sa chemise de flanelle lorsqu'il s'asseyait près d'elle sur le canapé pour lui décrire ce qui se passait sur l'écran de télévision ou lorsqu'il fouillait, comme elle aimait qu'il le fît, dans son tiroir à photos.« Qu'est-ce que tu as trouvé, Ezra ? demandait-elle.– On dirait des gens en train de pique-niquer.– En train de pique-niquer ? Quel genre de pique-nique ?– Il y a une nappe blanche dans l'herbe. Un panier d'osier. Une femme porte une blouse à col marin.– C'est peut-être tante Bessie.– Je reconnaîtrais tante Bessie, voyons.– Ou ma cousine Eisa. Elle adorait les chemisiers à col marin.– Je ne savais pas que tu avais une cousine.– Bien sûr que j'avais des cousines. »Elle appuyait sa tête en arrière et se souvenait des cousines, des tantes, des oncles et d'un grand-père dont l'haleine sentait les boules de naphtaline. C'était curieux de constater comme sa mémoire semblait, elle aussi, s'obscurcir. Elle ne revoyait plus très bien les visages. En revanche, elle entendait les voix, elle retrouvait le toucher des ruches de mousseline cassante que les femmes portaient sur leurs robes-chemisiers, elle sentait les odeurs d'onguents, d'eau de lavande et celle, extrêmement forte, des sels que la maladive cousine Bertha portait toujours avec elle pour dissiper ses vapeurs.« J'avais un tas de cousines », dit-elle.Toutes pensaient qu'elle resterait vieille fille. Elles étaient pleines de tact – d'une manière insultante. Les conversations, tournant autour des mariages et des accouchements, s'arrêtaient lorsque Pearl apparaissait. L'oncle Seward proposa de payer ses études à l'université Meredith, ici à Raleight ; elle n'aurait même pas à quitter la maison. Sans doute craignait-il d'avoir à sa charge, jusqu'à la fin de ses jours, cette nièce orpheline et célibataire qui monopolisait la chambre d'ami. Mais elle lui avait dit qu'elle n'avait nulle envie de poursuivre ses études. Aller à l'université serait s'avouer battue.Qu'est-ce qui clochait au juste ? Elle était loin d'être laide. Petite et menue, elle avait le teint clair et des cheveux blonds qu'elle attachait sur le dessus de son crâne. Malheureusement ils devenaient de plus en plus cassants, et de...
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