Fixer le ciel au mur

Tieri Briet

Le Rouergue

  • 15 mai 2014

    Adolescente, sur les bancs du collège, un peu à l'écart, je lisais les textes de Valérie Valère. Jugés trop sombres, ces livres me furent confisqués par un professeur de latin. Quelques mois plus tard dans une chambre aseptisée, entre deux pesées, j'ai pu lire librement l'histoire de cette fille avec sa tendresse et son génie, son inquiétude et son immense lucidité.

    Parler de la présence et de l'absence...voilà qui est difficile pour ces jeunes filles isolées, anéanties par l'anorexie, exilées dans un gynécée moral dont les murs sont difficiles à gravir.

    Dans "Fixer le ciel au mur", c'est un père qui oscille entre présence et absence de sa fille hospitalisée et souhaite raviver la parole en écrivant dans un journal. Un père désemparé qui décide de tisser le récit de vie d'autres femmes. Une sensation velléitaire de nouer entre elles des destinées exemplaires comme celle d'Hannah Arendt et l'albanaise Musine Kokalari.

    Dans la douleur, le père rassemble chansons, souvenirs communs et destins de femmes écrivains et combattantes. Convoquer la littérature pour puiser la force nécessaire à toutes les petites soeurs de Valérie Valère d'échapper à la tentation morbide de la maladie.

    Redonner le goût de la vie en évoquant le combat de Musine Kokalari, emprisonnée sous la dictature albanaise dans quatorze chansons chapitres où Tieri Briet tisse une toile intime, sensible et rend grâce au pouvoir de la littérature.

    Résister aux méandres de l'anorexie en se nourrissant de textes qui insufflent la force utile et offrir au lecteur un portrait fragile d'une poupée russe tour à tour chétive à Bruxelles, fée des bois dans le Lot, amie d'un ancien garagiste au village. Unique et plurielle Léan, pépite angélique qui savoure les textes de Rimbaud.

    L'itinérance d'une petite fille fragile à la jeune femme qui décide de s'éloigner après l'isolement à la manière des peuples de nulle part, de ceux qui ne sont jamais vraiment à leur place.

    Un livre refermé dans une grande émotion, comme un écho aux mots tus...pour les paroles jamais prononcées parce que nos coeurs sont parfois trop éloignés de nos yeux.

    A mio padre per le parole che non ci siamo detti perché i nostri cuori erano troppo lontani dai nostri occhi.*

    Merci pour ce très beau texte publié chez la brune au Rouergue.